• Ahmed

    Communiqué d'un Pieds Noirs

    Ahmed

    Mon père était agriculteur ou plus exactement, mon père était un colon d'Algérie. 
    Il possédait une petit ferme perchée sur les flancs de la montagne de la Mahouna.
    L'hiver y était rude. La neige qui tombait parfois en abondance coupait la route
    Mon père ne se prenait pas pour un gentlman farmer, ne possédait pas mille hectares qu'il faisait cultiver par des esclaves noirs. Il quitta très tôt le chemin de l'école communale pour la garde des troupeaux et les travaux de la ferme. Habitué à parler un arabe proche du maltais de ses parents, il partageait ses jeux avec les petits arabes de son age. Il avait acquis les subtilités de la langue, des coutumes, des moeurs , règles de bienséance comme des interdits des khames arabes avait qui il partageait son travail. On disait de lui: " Il parle arabe comme un arabe"; ce compliment le remplissait de fierté. Entre les colons et les arabes des fermes un lien particulier s'était établi par une connaissance mutuelle des mentalités, au point qu'ils se devinaient entre eux et qu'un code tacite réglait leur vie largement communautaire alors que les fonctionnaires venus de France détonnaient par leur naive bienveillance ou par l'arrogance de leur autorité.
    Mon père mouillait sa chemise comme les ouvriers de sa ferme et avec eux. Il se levait avant l'aurore et rentrait à la maison la nuit tombée. Dans un monde fait de communautés si différentes, son humanité avait trouvé les mots, les gestes, les silences les attitudes et le comportement naturellement adaptés à tous les milieux. 
    En ce temps là et sur cette terre, l'amitié ne se déclarait pas. Elle s'enveloppait de pudeur et naissait naturellement par une confiance et une estime partagées qui se reconnaissaient à des signes subtiles, le ton de la voix, les formules de politesses, des allusions malicieuses ou la permanence d'année en année de retations de travail. qui ne s'encombraient ni de la race ni de la religion. 
    C'est ainsi que mon père se lia d'amitié avec Ahmed. 
    Ahmed était un khamès , un ouvrier qui recevait une part de la récolte de blé. Il vécu à la ferme de la Manouna aussi longtemps qu'il est permis de se souvenir. Une grande famille l'entourait. Comme il était aussi chasseur, il participait aux battues dirigeant la meute des chiens, débusquant les sangliers dans les fourrés. Son visage buriné s'animait dans une expression joyeuse et comique quand il évoquait la chasse et qu'il mimait les attitudes des chasseurs, qu'il imitait l'aboiement des chiens, gesticulant et criant au grand bonheur de ceux qui l'écoutaient
    Quand nous montions à la ferme, il nous faisait apporter de la kessera chaude, une galette de blé cuite sur un tagine, et du petit lait de chèvre. S'il arrivait que la neige surprenne mon père et, plus tard, mon frère, c'est chez Ahmed qu'ils passaient la nuit enveloppés dans un burnous. . 
    Quand arrivèrent les années sombres de l'insurrection des fellaghas et que le danger couvait dans les fermes alentour, mon père devenu prudent remarqua le changement d'attitude des ouviers apeurés. Parfois, Ahmed envoyait un de ses fils jusqu'à Guelma où nous habitions . Il assurait mon père que tout allait bien à la ferme et lui demandait de ne pas se déranger, un non dit des plus clairs !
    Un dimanche matin, mon frère vint chercher mon père à l'église où il assistait à la messe.
    Un ouvrier était descendu le prévenir que Ahmed avait été assassiné. 
    Mon père le découvrit gisant dans un fossé, la gorge tranchée.
    Ses enfants révélèrent alors que les fellaghas lui avait ordonné de tuer mon père et que ses refus successifs lui avaient valu cette mort horrible. 
    On peut mourir en martyr en témoignage de sa foi.
    Ahmed était mort en martyr en témoignage de sa fidélité !

     

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