• Quand le ramadan prive un collège de chorale.

    Calendrier bouleversé, pas de chorale : comment le ramadan a perturbé un collège de Seine-et-Marne

    Quand le ramadan prive un collège de chorale.
    PHOTOPQR/LA NOUVELLE REPUBLIQUE/

    Calendrier bouleversé, pas de chorale : comment le ramadan a perturbé un collège de Seine-et-Marne

    Témoignage

    Par: Nora Bussigny

    À Toulouse, le cas d’élèves qui avaient refusé d’écouter les Beatles en cours de musique à cause du ramadan a récemment créé la polémique. Interrogée par « Marianne », la gestionnaire d’un collège de Seine-et-Marne n'est guère étonnée de l’incident. Son établissement est également coutumier des manquements au principe de laïcité.

    En poste depuis plus de vingt ans, Sonia [1] est gestionnaire dans un collège de Seine-et-Marne depuis près d’une dizaine d’années. Adjointe du chef d’établissement, elle est notamment chargée des finances, de la sécurité, de la restauration, de l’hygiène et des ressources humaines hors enseignants. Selon cette « Franco-marocaine soucieuse des valeurs de la République », la seule religion ayant un impact sur les projets de son établissement serait l’islam. « On peut parler d'une influence sur le calendrier des projets et des activités de l'établissement. Par exemple, les épreuves des oraux du brevet blanc ont été reportées car elles coïncidaient avec la période du ramadan. Des projets de sortie ont été également reportés à cause de ça. »

    Sollicitée par les enseignants en cas de projet de sortie scolaire, Sonia raconte ainsi que cette année, le projet de chorale de son établissement aurait été perturbé par des élèves pratiquants le ramadan. Certains élèves ont refusé de participer aux répétitions du spectacle de fin d’année au motif que durant la période jeûne il serait interdit de chanter ou d’écouter de la musique, ce qui aurait contraint leur professeur excédé à faire remonter l’affaire en conseil pédagogique. En réponse, la direction lui aurait demandé de faire preuve de « tolérance », des propos confirmés à Sonia par le CPE – le conseiller principal d'éducation – et un autre enseignant, également présents.

    Récemment, dans un collège de Toulouse, des élèves ont quitté un cours, mi-mai quand leur professeur de musique leur a fait écouter une chanson des Beatles pendant le ramadan. Le rectorat a été saisi pour ce qui peut s'apparenter à un acte de radicalisation en milieu scolaire, écrit Midi libre.

    ABSENTÉISME SÉLECTIF

    Les services du ministère rappellent que les élèves sont soumis à l’obligation d’assiduité : « Les élèves doivent assister à l’ensemble des cours inscrits à leur emploi du temps sans pouvoir refuser les matières qui leur paraîtraient contraires à leurs convictions. Un absentéisme sélectif pour des raisons religieuses ne saurait être accepté ». Le motif d’atteinte à des convictions religieuses ne figure pas parmi les motifs d’absence reconnus comme légitimes : « Par ailleurs, si l’élève n’est pas obligé de s’inscrire à une sortie scolaire facultative, les règles de l’enseignement public s’appliquent à lui dès lors qu’il a décidé d’y participer ». Selon le ministère, en cas de réticence ou de refus manifeste de la part de l’élève, le chef d’établissement doit entamer le dialogue avec la famille avant d’avoir la possibilité, en cas de refus répétés, de solliciter l’action d’accompagnement de l’équipe « Valeurs de la République ».

    Pour Sonia, la pratique du ramadan par les élèves vient malgré tout compromettre le calendrier de son établissement. « On intériorise le ramadan comme si c’était un évènement officiel : "on ne peut pas à cette période-là car ce sera le ramadan", "il vaut mieux éviter d’organiser les portes ouvertes tel jour, ce sera l’Aïd" », rapporte la gestionnaire, excédée. Interrogé, Bruno Bobkiewicz, proviseur et secrétaire général du SNPDEN, principal syndicat de chefs d'établissements et ancien proviseur à Saint-Denis et à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), confirme : « Faire glisser une date de réunion parents profs d’un jour à l’autre permet aux gens de fêter leur religion car une fête religieuse ne peut se déplacer. Le bulletin officiel prévoit d’ailleurs une journée d’absence pour fête religieuse quelle que soit la confession. Quant aux examens, le baccalauréat national n’a jamais été déplacé même s’il tombait durant le ramadan ».

    RAMADAN ET ABSENCE À LA CANTINE

    Chargée également des finances de la demi-pension, Sonia s’étonne du manque d’équité entre un élève absent pour cause de maladie et un élève pratiquant le ramadan. « Le ramadan justifie les retards, absences, manque de travail, agressivité des élèves mais ce qui me surprend le plus, c’est que le règlement de la cantine prévoit que seule une absence consécutive de deux semaines d’absences pour maladie donne droit à une remise sur la facture cantine, déplore-t-elle. En revanche, les jours d’absence pour ramadan sont défalqués sur ordre du chef d’établissement ! ».

    Bruno Bobkiewicz tient à recontextualiser : « Les remises d’ordre de la demi-pension dépendent de l’établissement. Quand nous avons des élèves qui partent une semaine en voyage scolaire, ils sont évidemment remboursés. Une absence justifiée, constatée et anticipée donne droit au remboursement de la famille, mais cela est propre à chaque établissement. D’autant que le ramadan est anticipé et dure un mois. » D’ailleurs, en 2017 et 2019 à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne) et à Maisons-Laffitte (Yvelines), les directions des collèges du Fort et Cocteau ont provoqué l’indignation parmi les parents d’élèves en distribuant aux élèves des formulaires à remplir en cas de pratique du ramadan, afin d’anticiper la commande des repas.

    PORC ET SERVICE DE RESTAURATION

    Si Sonia déplore que le rectorat lui ait conseillé de faire preuve « d’apaisement » face aux divers retours qu’elle a pu leur faire, elle souligne cependant que le département aurait « changé de ton » depuis les dernières élections départementales : « Le règlement de la cantine a été refondu : plus de plat de substitution quand le porc est au menu par exemple ». Cela n’empêcherait pas certains parents de se plaindre de la situation en conseil d’administration ou par mails, déplorant que leurs enfants n’aient rien d’autre à manger à la cantine que du porc. « C’est faux assure-t-elle : les entrées et accompagnements ne sont généralement pas à base de porc. D’ailleurs, les élèves de confession juive n’ont jamais demandé de plat de substitution dans mon collège. »

    La cuisinière de l’établissement de Sonia n’hésite pas à lui raconter que certains de ses collègues cuisiniers officiant dans d’autres établissements préfèrent ne plus mettre de porc au menu. « Quand ils inscrivent "pâte carbonara", il s’agit de "lardons" au poulet. Ils remplacent aussi le chorizo dans la paella ou le jambon de porc dans les pizzas », raconte la chef de cuisine. Sonia elle-même constate que lorsqu’elle souhaite passer commande auprès des fournisseurs, les saucisses au poulet sont proposées systématiquement. « Il faut préciser "au porc" si on veut en commander, ce qui n’était pas le cas avant ! De même, la gélatine n’est plus au porc », soutiennent Sonia et sa chef de cantine.

    À LIRE AUSSI : Formation des agents publics à la laïcité : "Il y a une carence"

    Mais depuis l’année dernière, l’aide de restauration qui assiste la cuisinière a refusé de toucher au porc lors de la préparation des repas. « C’est la cuisinière qui doit le manipuler, ce qui multiplie ses tâches alors que cela relève de l’aide de restauration. Je suis bien sûr intervenue mais l’aide de restauration a campé sur ses positions, me précisant qu’elle aimerait bien voir la réaction des parents d’élèves si je persistais à l’y obliger », s’indigne Sonia. La gestionnaire a fait par la suite un rapport au département, mais son chef d’établissement aurait refusé de le contresigner afin de pouvoir l’envoyer.

    Bruno Bobkiewicz soutient la situation de Sonia et estime que son chef d’établissement aurait dû entamer une discussion avec l’agent concerné. « Si, malgré notre discussion, l’aide de restauration continuait à maintenir son refus de manipuler du porc, j’en aurais référé au département », estime le proviseur. Le ministère de l’Éducation nationale, qui rappelle que la restauration scolaire relève des collectivités territoriales, tient lui aussi à préciser que le respect du principe de laïcité s’impose à l’ensemble des personnels du service public « qu’ils soient personnels de l’Éducation nationale ou agents des collectivités territoriales exerçant dans les établissements scolaires ». Pour le ministère, quand il s'agit des personnels des collectivités territoriales, le chef d’établissement aurait dû informer son « autorité hiérarchique en cas de manquement au devoir de neutralité ».

    (1) Nom modifié à sa demande.


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