LE GRAIN DE SEL HEBDOMADAIRE DE JEAN-CLAUDE ROLINAT
LA BOMBE ALGÉRIENNE
Ne nous racontons pas d’histoires, la réconciliation franco-algérienne n’est pas pour demain. Le contentieux est trop lourd et les cœurs saignent, débordant encore de chagrin.
Le grain de sel hebdomadaire de Jean-Claude Rolinat
Nul Mandela algérois ou parisien n’a jamais suggéré la création d’une « commission vérité et réconciliation » aux résultats, d’ailleurs, bien limités du côté du Cap. Au moins a-t-elle eu le mérite de provoquer une véritable catharsis. Rien de cela ne s’est produit chez nous. Au contraire, les rancœurs, les remords, les regrets, les accusations se sont accumulés jusqu’à remplir à ras bord un fossé plein de méfiance réciproque. Pour beaucoup, dans les deux camps, l’heure de passer l’éponge n’est pas encore venue. La réconciliation franco-allemande, en dépit des drames accumulés en 1914-1918 et 1940-1944, a été beaucoup plus rapide. C’est que ce conflit était un affrontement international, introduisant les lois de la guerre entre belligérants étrangers alors que ce que l’on désignait pudiquement comme les « évènements d’Algérie »,- déjà le déni de vérité !-, étaient en fait une véritable guerre civile, avec tout son cortège de cruauté et de haine inexpugnable, comme seules les guerres de religion qui marquèrent la France au XVIème siècle ou celle d’Espagne en 1936-1939 en sont capables. A l’époque post Renaissance, il y eut en France un pacificateur, Henri IV, en 1962 pour notre malheur, nous eûmes De Gaulle….
A PEINE L’ENCRE DES SIGNATURES ETAIT-ELLE SECHE, QUE LES ACCORDS ETAIENT TRAHIS PAR LE FLN
Le 19 mars 1962, après la signature des accords d’Evian entre la délégation du Front de Libération National (FLN) et le gouvernement français, la paix devait régner sur le beau pays algérien, les bombes et les armes devaient cesser de faire entendre les bruits de leurs explosions et les staccatos de leurs rafales. Un mensonge que des associations « d’anciens combattants » comme la FNACA perpétuent chaque année autour des monuments aux morts de nos villes, là où cette structure est implantée, encouragée par des maires aveugles et sourds qui n’ont eu de cesse de baptiser ici ou là, des rues du « 19 mars 1962 ». Or chacun sait ou devrait le savoir, qu’il y eut plus de victimes entre la « Toussaint rouge » de 1954 – soulèvement général du FLN – et les 3 et 5 juillet 1962, dates de passation du pouvoir aux nouvelles autorités algériennes. Comment oublier ces milliers de Français enlevés à Oran et ailleurs, ces soldats tués ou disparus en dépit des accords et, surtout, le massacre délibéré et généralisé des harkis dans des conditions horribles et dans l’indifférence totale et méprisante du pouvoir gaulliste ? Pourtant, ces accords de cessez-le-feu s’ils avaient été appliqués loyalement, auraient pu offrir une alternative acceptable in fine , éprouvante, certes pour les partisans de l’Algérie française, mais bien plus supportable qu’un effroyable exode de plus d’un million des nôtres en quelques semaines, en quelques jours. Rien dans cet accord s’il avait été respecté par les tueurs du FLN, n’était attentatoire aux intérêts français fondamentaux : les positions militaires étaient figées, nul ne pouvait être poursuivi pour ses idées, ses actes ou ses actions AVANT la proclamation du cessez-le-feu, les citoyens de droit civil français conservaient leur nationalité et avaient un délai de trois ans pour opter en faveur de la citoyenneté algérienne. Les accords confirmaient également les droits de propriété et le maintien pour quinze ans de la base de Mers-El-Kébir, ainsi que la jouissance des terrains militaires nécessaires à la France, notamment au Sahara. Evian esquissait aussi la future coopération entre les deux Etats, précisant que l’Algérie nouvelle resterait dans la zone Franc, etc….Bref tout irait mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que rien ne s’est passé comme cela : aux assassinats et enlèvements de pieds noirs, aux massacres de harkis, ont répondu les inévitables coups, certes cruels et parfois sans discernement, de l’OAS, la résistance française à l’abandon et à la trahison. Après l’indépendance, on ne peut pas dire que les relations franco algériennes furent celles d’un couple vivant une merveilleuse lune de miel, c’est le moins que l’on puisse dire. De Gaulle, pressé de se débarrasser du « fardeau colonial », plia bagage prématurément, abandonnant Mers-El-Kébir comme le Sahara, non sans continuer à acheter un pétrole que nos techniciens et ingénieurs avaient initialement découvert et exploité pour le plus grand bien de tous. (L’Organisation Commune des Régions Sahariennes – l’OCRS, - aurait dû jouer son rôle de répartiteur des bienfaits du pétrole entre l’Algérie et ses voisins, que nenni !) .Paradoxe et non des moindres chez les Algériens, alors que leurs pères avaient combattu pour l’indépendance, laissant des plumes sur le terrain sous les coups d’une armée française INVAINCUE contrairement au scénario indochinois, les fils allaient franchir en grand nombre la Méditerranée pour jouir des avantages sociaux d’une ancienne métropole pourtant vouée aux gémonies. Aucune fierté dans cette démarche, seul l’intérêt la guidant.
UNE IMPORTANTE COMMUNAUTE
Il y aurait beaucoup à dire sur le comportement des jeunes membres de la communauté franco-algérienne résidant en France, eux qui n’hésitent jamais à exhiber le drapeau vert et blanc frappé du croissant et de l’étoile rouges à chaque match – gagné ou perdu ! – mettant en scène leurs frères de l’autre côté de la « mare nostrum »….Ce qui pose à l’évidence, le problème de la double nationalité et de l’allégeance, choisie ou imposée. D’où, notamment, la difficulté à évaluer le nombre d’Algériens...algériens, et le nombre de Français d’origine algérienne présents sur notre sol. De toute façon, cela se chiffre en millions.
LA BOMBE DEMOGRAPHIQUE
La Bombe dont j’aimerais vous entretenir n’est pas celle que la France faisait exploser au Sahara lors de ses essais nucléaires, essais qui donnent lieu en ce moment à la reconnaissance d’un préjudice pour les populations polynésiennes ouvrant des droits au versement d’indemnités aux personnes irradiées ou victimes tardives des effets des rayonnements. (Ce qui, entre parenthèses, pourrait donner de mauvaises idées aux comparses de Mr Bouteflika, vous savez le Président qui vient se faire soigner gratis en France tout en crachant son venin sur notre pays….). Non, la « bombe » que je veux évoquer, est une bombe à retardement, une bombe démographique, une bombe à effets migratoires. Le taux de natalité en Algérie est l’un des plus élevé au Maghreb avec un indice synthétique de fécondité frôlant les 3 enfants par femme. (2,08 en France y compris les femmes immigrées ou d’origine étrangère ce qui donne, environ, une naissance sur trois pour ces dernières et une sur deux rien qu’en Ile de France !).Sur 40 millions d’habitants, une multiplication par 4 en quarante ans ( !), près de 29 % des habitants ont moins de 15 ans .Pour eux, la guerre d’indépendance n’est qu’un lointain souvenir quand elle n’est pas une abstraction. Les jeunes veulent un travail. Or avec une très grande masse réelle de jeunes chômeurs, même ceux qui sont diplômés et qui font mentir les statistiques officielles et leurs pseudos taux de chômage de 10 ou 11 %, grande est l’insatisfaction, et la tentation d’émigrer vers des cieux meilleurs est irrépressible. Si vous ajoutez à cela les effets dévastateurs de la télévision et d’internet qui étalent les paillettes d’un mythique Eldorado européen, vous avez là une masse humaine prête à déferler elle aussi comme les Syro-Irakiens, sur les côtes Sud de l’Europe. « Le Camp des Saints » avant « Le grand remplacement » ? Le pétrole, - le pays est le 18ème producteur mondial comme le gaz, 9ème place -, assuraient à l’Algérie une rente permettant au gouvernement de soutenir l’économie et de subventionner les produits de première nécessité. Au lieu de diversifier ses productions et d’exploiter les outils que le « méchant colonisateur » a laissé en terme d’infrastructures, l’Algérie de l’adjudant Ben-Bella et surtout celle du « colonel » Boumediene s’est lancée dans une politique d’industrialisation étatique semblable, tout proportion gardée, au « Grand bond en avant » du camarade Mao en Chine, lequel s’est soldé comme chacun sait, aussi, par un échec retentissant. L’agriculture a été négligée comme le tourisme qui ne manque pas d’atouts, alors que ce dernier était florissant chez les voisins Marocains et Tunisiens avant les attentats. Lorsque la France a quitté l’Algérie dans les conditions que l’on sait après la forfaiture de Paris – il y avait tout de même d’autres alternatives, lire ou relire à ce sujet le livre d’Alain Peyrefitte, « Faut-il partager l’Algérie ? », paru chez Plon en 1961 - on recensait 9 millions de musulmans. La forte natalité aidant, ils étaient 25 en 1994 et, nous l’avons vu, 40 aujourd’hui. Il est probable que la présence française, sous une forme ou sous une autre, aurait contribué à modifier cette croissance, démentant ainsi l’un des arguments avancés par De Gaulle pour « bazarder » l’Algérie qui aurait submergé la population française. Donc, les jeunes Algériens ne voient leur salut que dans l’exil, leur pays et sa clique de kleptocrates confisquant le pouvoir étant incapables de leur offrir un avenir. Il n’est que d’entendre les cris de la foule, « des visas, des visas », se mêlant aux applaudissements lors de la visite d’un Chef de l’Etat français. Et la situation n’est pas prête de s’améliorer. Le pétrole n’est plus ce qu’il était. Le prix du baril de Brent entre mars 2015 et mars 2016, s’est effondré passant de 60 dollars à 38,61 ! Les recettes de l’Etat ont fondu de 40 % ! Sur le marché mondial, pour l’instant, l’offre dépasse la demande. L’une des raisons, perverse, est l’attitude de l’Arabie Saoudite qui a augmenté sa production pour casser ou tout au moins freiner la recherche et la production de pétrole de schiste, notamment chez son bon allié américain, capable de se passer à terme des productions de son fournisseur et client Wahhabite. Mais toute la planète pétrole a été touchée, Iran comme Venezuela compris, ce dernier pays s’enfonçant même dans le marasme économique doublé d’une crise politique.
DES FRONTIERES DIFFICILES A CONTROLER
Et pour l’Algérie, comme si une tuile n’arrivait jamais seule, l’interminable fin de règne de l’ère Bouteflika est ponctuée d’une recrudescence d’activités islamistes. On se souvient de la sanglante prise d’otages sur les sites pétroliers du Sud et, dernièrement, l’Armée Nationale Populaire (ANP), a neutralisé 157 terroristes dont beaucoup, capturés vivants, ont parlé. Dans la vaste partie méridionale de l’Algérie, désertique, difficile à contrôler, aux confins de la Tunisie, de la Libye, du Niger et du Mali, les bandes d’AQMI se jouent des pointillés qui dessinent sur les cartes des frontières artificielles. Le Vice-ministre de la défense nationale et Chef de l’état-major, le général Ahmed Saïd Salah, a tiré la sonnette d’alarme face à la dégradation récente de la situation sécuritaire le long, notamment, de la frontière avec l’ancienne Tripolitaine. Un impressionnant arsenal a été capturé, comprenant de redoutables systèmes de missile anti-aériens Stinger, des missiles anti-char et des ceintures explosives. Tout ceci n’est guère rassurant pour la France qui a ouvert ses portes avec le consternant regroupement familial dont on ne dira jamais assez que Messieurs Giscard d’Estaing et Chirac, sont les grands responsables. Tous les ingrédients d’une crise majeure, petit à petit, se mettent en place sur les rayons : une Algérie économiquement affaiblie, - la suppression d’un million de postes de fonctionnaires est envisagée tout comme l’augmentation du taux de TVA sur l’énergie passant de 7 à 17 % !-, une jeunesse grouillante et sans espoir, des frontières poreuses, un pouvoir moribond et corrompu sur fond d’agitation islamiste ou séparatiste.(Kabylie).L’ écrivain algérien Boualem Sansal , auteur du livre « 2084 la fin d’un monde » (Gallimard août 2015) , fable de facture « orwellienne », n’hésite pas à dire que le Président François Hollande a décidé de « choisir de soutenir la dictature au détriment du peuple ». Ce qui explique sa consternante politique de repentance et sa commémoration du 19mars. Mais c’est bon pour qui tout ça ? Ni pour les Français, ni pour les Algériens. Si nous n’arrivons pas à clarifier, de part et d’autre, le ressenti des heures sombres des années 1954-1962, le pire est à craindre. Avec les importantes colonies musulmanes installées dans notre pays, spécifiquement algériennes ou d’origine algérienne, si demain Alger, Oran, Constantine et autre Médéa ou Tlemcen devaient sombrer dans la violence et succomber sous les coups des islamistes – rappelons-nous les tragiques années quatre-vingt-dix et les durs combats de l’Armée algérienne contre le FIS et le GIA – gare à la paix civile en France même ! Aujourd’hui, en dépit des drames du passé, l’intérêt MAJEUR des deux pays est d’adopter une attitude pragmatique, de nettoyer chacun devant sa porte et de coopérer LOYALEMENT.
Jean-Claude ROLINAT